Mémorandum du Front des Forces Socialistes sur la situation des Droits de l’Homme en Algérie

A Madame Louise Harbour
Haut Commissaire des Nations Unies aux Droits de l’Homme
Palais Wilson 94, rue de Montrillant 1202 Genève – Suisse
Il est devenu tristement banal pour tous les défenseurs des Droits de l’Homme de faire inlassablement le constat de l’inexistence d’une véritable conscience morale au sein d’une communauté internationale devant laquelle les peuples opprimés iraient porter leurs doléances.
La composition du Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies qui vient d’être installé n’est pas pour rassurer. Des Etats notoirement connus pour pratiquer toutes les violations de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et des textes y afférents, siègent aujourd’hui dans un conseil sous l’égide des Nations- unies. Certains d’entre eux n’y ont pas été admis au motif apparent qu’ils n’avaient toujours pas signé les Pactes des Droits de l’Homme ainsi que les Conventions Humanitaires.
Or, les autorités qui se sont imposées à notre pays les ont signé et même paraphé depuis bien des années, ce qui ne les a pas gêné pour les violer en permanence depuis quatre décennies, à ciel ouvert, massivement et le plus souvent systématiquement.
Dans leur rhétorique à usage interne les Etats comme l’Algérie ne se privent pas de mettre en exergue les scandaleuses violations commises par des puissances comme les USA en Irak pour légitimer leur action.
En ces temps de multiples reculs dans les faits des notions mêmes de civilisation humaine et d’universalité des Droits, nous nous garderons bien d’entrer dans la hiérarchisation des barbaries en comparant ceux qui violent les droits de peuples étrangers tout en respectant ceux de leurs citoyens, et les pouvoirs qui ne se maintiennent au pouvoir que par la négation de leurs engagements internationaux et le mépris des règles minima du droit national dans leurs pratiques quotidiennes. De même qu’il n’y a pas de différence de nature entre, d’une part, certains de ces pays transgresseurs qui, anticipant leurs déconvenues n’avaient même pas osé poser leurs candidatures au CDHNU, et d’autre part une poignée de leurs semblables , qui, eux, furent élus, sans autre forme de procès.
D’évidence, ce sont principalement les niveaux de puissance politique et les complicités internationales, actives ou passives, qui avaient joué en faveur de l’admission de ces derniers. Outre le système de quotas régionaux et le vote à la majorité simple à l’assemblée générale de l’ONU, dominée par les dictatures du  » Tiers Monde « .
Pour nous, c’est le respect de l’intégrité morale et physique des individus et des peuples qui est la conquête la plus noble de la civilisation humaine. Et c’est à cette dernière que l’on s’attaque à chaque fois que l’on banalise la torture, le meurtre et toutes les indignités qui peuvent être commises à l’encontre des êtres humains au nom d’un impératif supérieur quel qu’il soit.
Il semble bien pourtant que ce vingt et unième siècle qu’on avait annoncé en fanfare comme celui de toutes les conquêtes démocratiques soit en train de devenir celui de leur transgression brutale ou de leur subtile contournement.
Il est peu probable que les sociétés humaines, dans la diversité des conditions qu’elles traversent, se taisent devant un tel recul imposé par des pouvoirs et des institutions internationales aux yeux desquels la dignité de l’Homme a cessé d’être une valeur en soi.
La révolution algérienne qui a mené son peuple vers l’Indépendance l’a fait en référence permanente à la souveraineté des peuples et des citoyens, qui constituaient les plus hautes victoires de l’humanité sur l’Ordre international pan étatique, but et sanctuaire des totalitarismes barbares de droite et de gauche. C’est au nom des Droits de l’Homme, et du Droit à l’autodétermination, le plus primordial et fondateur de ces droits, que la longue et opiniâtre résistance du peuple algérien a fini par faire reconnaître le gouvernement provisoire algérien en exil par la communauté et les institutions internationales, alors même qu’il ne pouvait exciper d’une assise territoriale significative dans notre pays, à l’instar de la révolution indonésienne.
Cette légitimation fut une rupture historique avec le droit de conquête non écrit, mais non moins gravé dans le marbre coutumier d’un droit international, façonné et imposé unilatéralement au monde par les puissances occidentales ; elle fut révolutionnaire et exemplaire pour les peuples du Tiers-monde, portés et unis par la dynamique de la décolonisation.
Faut-il rappeler que le référendum portant sur le Droit du peuple algérien à l’autodétermination qui fut adopté massivement par les Algériennes et Algériens, le 3 juillet 1962, fut l a raison d’être incontestée et incontestable de l’Etat algérien tant sur le plan national qu’international ? C’est à l’Assemblée Nationale Constituante, censée être élue dans le respect des candidatures plurielles et en toute transparence, que revenait la prérogative fondatrice d’élaborer la Constitution de cet Etat Démocratique et Social. Etat rêvé par des générations brimées et affamées de patriotes et qualifié très précisément de but de guerre par la proclamation qui avait annoncé le déclenchement de la lutte armée au 1er novembre 1954.
Le système politique qui, aujourd’hui, continue de se réclamer de la révolution algérienne, pense avoir définitivement effacé de la mémoire collective, la responsabilité pleine et entière qu’il avait déjà assumé dans la confiscation des compétences de l’Assemblée Nationale Constituante et, par voie de conséquence, dans la préfabrication du premier modèle constitutionnel stalino-baathiste.
Le coup de force perpétré contre le Gouvernement Provisoire de la Révolution Algérienne, par la camarilla militaro-policière au lendemain même de l’indépendance, ne fut pas seulement une opération de déstabilisation politique qui a dégénéré en luttes de pouvoir meurtrières et insensées ; il s’inscrivait surtout dans une tactique stalinienne planifiée pour s’emparer de tout le dispositif préparatoire de l’élection de l’Assemblée Nationale Constituante, avec pour finalité stratégique de prendre en otage l’édification des institutions étatiques. Dès lors, étant donné le viol et l’extinction du droit à l’autodétermination qui constituait le fondement légitime de l’Etat algérien, celui-ci n’est pas seulement mal parti, mais il est bricolé pour disparaître progressivement, au profit d’un système d’instances privatisées et jamais comptables. Ni devant des institutions de la communauté nationale librement élues, ni devant les instances internationales des Droits de l’Homme.
Décidément, le principe de la compétence universelle en matière de violations des Droits de l’Homme, s’arrête aux frontières de notre pays ; comme si la souveraineté nationale peut être exceptionnellement absolue en Algérie, même lorsqu’il s’agit de violations systématiques et massives des Droits de la personne humaine. Comme si le beau monde du millenarium tirait un trait sur les pertes et les souffrances endurées par notre peuple au cours d’une terrible guerre de reconquête coloniale menée au nom d’une autre et identique souveraineté absolue… dont on découvrira, plus tard qu’elle n’était que fiction juridique et colossale mystification politique.
Ainsi, le système politique algérien, autant par la longévité de sa  » gouvernance  » à coups d’Etat répétés et de fraudes électorales, que par ses options internationales et ses menées militantes hostiles à la montée universelle des Droits de la personne humaine, se trouve aux antipodes des valeurs et des idéaux de cette révolution.
Au contraire, loin d’être libérateur, son rôle ne peut s’inscrire que dans cette logique destructrice de la domination sans freins qui risque de pervertir les relations internationales et de barrer la route à toutes les solutions alternatives susceptibles de reconstruire la paix et la sécurité internationales et de consolider les idéaux de liberté, de justice et de solidarité qui en sont les garanties sine qua non .
Les algériens comme les autres peuples l’ont bien compris et le paient quotidiennement de leurs libertés et de leurs souffrances. Libre aux institutions internationales de continuer à ignorer l’érosion de leur crédit auprès des peuples, à force de compromissions honteuses. Elles ne pourront, en tout cas, plus prétendre qu’elles ne savaient pas.
Depuis la promulgation de l’Etat d’urgence en février 1992 suite à l’annulation par le régime anti-populaire en place des premières élections pluralistes du pays le pouvoir algérien s’est fixé pour mission permanente la violation des Droits de l’Homme en vue de se maintenir.
A l’ombre de cet Etat d’urgence – que les autorités maintiennent en dépit des multiples demandes d’abrogation émanant des défenseurs des Droits de l’Homme, des partis politiques et des syndicats, l’Etat algérien s’est rendu coupable de :
A- L’ouverture arbitraire et en dehors de toute procédure légale de camps de détention dans le sud du pays
Les milliers de personnes qui détenues de longs mois ont été, de manière totalement illégale, enlevées et soumises à des traitements dégradants. Certains y ont trouvé la mort. Tous se sont retrouvés sans recours face à la machine répressive du pouvoir. Si la plupart des personnes détenues dans ces camps ont été relâchées, TOUTES se sont retrouvées face à une situation de déni total de leurs droits les plus élémentaires.
B- Pratique systématique de la torture et des traitements dégradants
* L’Algérie a constamment refusé l’envoi par la commission des droits de l’Homme de l’ONU d’un Rapporteur spécial sur la torture.
C- Pratique massive de l’enlèvement et de la séquestration arbitraire
D- Pratique massive des disparitions forcées qui a concerné des milliers de personnes
* L’Algérie a constamment refusé l’envoi par la commission des droits de l’Homme de l’ONU d’un Rapporteur spécial sur les disparitions forcées
E- Pratique des exécutions extrajudiciaires
* L’Algérie a constamment refusé l’envoi par la commission des droits de l’Homme de l’ONU d’un Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires.
F- La violation du Droit de la défense et la mise en place d’un système judiciaire totalement asservi au Pouvoir
G- La violation de la liberté d’expression et de la presse par :
– le refus d’octroi de l’agrément pour la création d’une publication ;
– l’interdiction de titres déjà existants ;
– le harcèlement judiciaire des journalistes ;
– l’instauration de comités de lecture au niveau des imprimeries ( Imprimatur )
* cette dernière a été abolie sans pour autant que les pouvoirs publics reconnaissent les torts infligés aux publications concernées, ni ne procèdent à leur indemnisation.
H- La violation des Droits de créer des associations ou des partis politiques par le refus de l’octroi de l’agrément
I- La violation des libertés syndicales par :
– le refus de l’octroi de l’agrément aux syndicats autonomes ;
– le recours à la machine judiciaire pour l’interdiction des grèves ;
– le harcèlement administratif, policier et judiciaire des syndicalistes.
J- La non-assistance à populations en danger lors des massacres à grande échelle ayant fait des milliers de victimes : (Bentalha, Raïs, Remka, Had Chekala)
* L’Algérie a constamment refusé la constitution d’une commission d’enquête indépendante sur les massacres, et les assassinats ciblés.
K- La mise en place d’un système de fraude électorale qui transforme toute consultation électorale en une mascarade
L- La dissolution d’assemblées légalement élues en violation des dispositions légales en vigueur. (Kabylie 2005)
M- La non reconnaissance de l’égalité juridique entre les hommes et les femmes
Par ailleurs, l’adoption de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale, le 29 septembre 2005, accorde de fait, l’impunité aux criminels des groupes armés autant qu’à ceux des services de sécurité.
En interdisant aux victimes de déposer plainte ou de témoigner sur les violations commises de puis 1992, le pouvoir algérien procède à l’absolution des criminels. En plus de la consécration de l’impunité par cette charte décidée unilatéralement par le pouvoir et adoptée à l’issue d’un referendum largement boycotté par la population, le pouvoir algérien entend occulter toute responsabilité dans un conflit qui a fait 200.000 morts, des milliers de disparus, des milliers d’handicapés, des milliers de personnes déplacées.
L’indemnisation des victimes et des bourreaux mis sur un même pied d’égalité, ajoutée à l’interdiction de toute demande de vérité sur les crimes commis durant plus d’une décennie crée une situation insupportable pour toute la société algérienne obligée de subir en silence l’affront de crimes impunis et de criminels en liberté.
Obsédé par le soucis de son auto amnistie, le Pouvoir algérien vient d’infliger à la société algérienne un crime supplémentaire en lui imposant de vivre sous un régime de crimes sans criminels !
Les conséquences sociales, politiques et morales d’une telle dissolution du Droit par l’adoption d’une loi défiant tous les critères de vie en société civilisée sont lourdes de conséquences. L’état de délabrement moral et politique d’un pays qui vit au rythme des émeutes et de la répression au quotidien est porteur de tous les dangers d’implosion. La hausse vertigineuse de la criminalité à tous les échelons de la société, la multiplication des actes de vengeance individuels et la persistance d’un « terrorisme de basse intensité » font peser sur la société algérienne les risques d’un basculement progressif dans l’anomie.
Cette situation intolérable n’est ni une fatalité ni un accident de parcours, elle est le fruit d’une politique qui a fait de l’usage de la FORCE et de la violence le seul droit en vigueur.
le 23 mai 2006
Hocine Aït Ahmed

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